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Inventer des nouveaux mots: le collectif Dingdingdong pour étudier le syndrome de Huntington

Dernière mise à jour : 2 mars 2020





Le Manifeste de Dingdingdong m’a été présenté par hasard cet été. Je n’étais pas à sa recherche : simplement j’ai rencontré une belle personne. Nous étions dans la forêt basque. Je lui parlais de Point de suspensions et de notre travail qui rassemble, en synergie, des artistes et des personnes avec un handicap et des artistes et des personnes sans handicap. J’ai parlé de l’oppression qui est effectuée en invisibilisant et en mettant sous silence ces corps « anormaux » ainsi que les êtres qui les incarnent. J’ai employé les termes de « métamorphose » et de « monstruosité ». J’ai énoncé la nécessité de chercher d’autres formes de beauté, de l’impératif même de s’interroger sur la notion de « beauté » et de l’urgence de la redéfinir. En écoutant mon récit et en me regardant, cette belle personne m’a parlé du collectif Dingdingdong.


Une fois chez moi, je me suis renseignée et j’ai lu Manifeste de Dingdingdong.

Dingdingdong est un dispositif de production de connaissances et de propositions pragmatiques concernant Huntington, maladie héréditaire et incurable du système nerveux. Face au « diagnostic fatale » de la médecine, face à un accompagnement psychologique invitant le patient à faire le deuil de la normalité, ce collectif instaure un cadre où le malade se transforme en sujet portant un regard singulier sur le monde. Le collectif veut éveiller la curiosité en invitant les patients à « explorer la maladie comme une terre inconnue et trouver les formes narratives à la hauteur pour bien raconter, chemin faisant, cette aventure », comme explique Alice Rivière, auteure du livre.


Dans Manifeste de Dingdingdong, elle retrace son expérience personnelle. Lorsque sa mère commence à présenter des mouvements choréo-athétosiques[1] ainsi que d’autres symptômes, Alice et ses sœurs découvrent que celle-ci est atteinte par la maladie de Huntington. Huntingtong se transmet sur un mode autosomique dominant, c’est-à-dire que lorsque l’un des parents est porteur, l’enfant a une chance sur deux de développer la maladie. Depuis 1993 un test pré-symptomatique permet aux « sujet à risque » (les descendants d’une personne malade) de savoir si, oui ou non, il est porteur du gène muté. Prise dans le piège de vouloir une certitude, Alice choisit de faire le test. C’est ainsi qu’âgée d’une trentaine d’année, en pleine construction des projets pour l’avenir elle apprend qu’elle développera la maladie.


Le livre retrace l’apparition de la maladie dans la vie d’Alice et l’antidote insolite qui peut la transformer en moteur de vie : se re-penser, se re-présenter, s’exprimer.


C’est le premier des 5 livres que le collectif a édité jusqu’à présent.

Se redire autrement c’est résister


En 1872, George Huntington écrit un texte médical décrivant plusieurs types de « Chorée». « Chorée » est le terme médicale employé pour nommer les tremblements ou tout autre mouvement involontaire présent dans un corps. Dans son ouvrage, Huntington décrit une forme particulière de chorée qui est héréditaire, qui apparaît entre 30 et 40 ans, et qui s’aggrave « jusqu’à ce que l’infortuné ne soit plus que l’épave tremblante de ce qu’il fut ». A l’époque, cette sorte de chorée n’était pas nommée, mais la description que Huntington en fait suffit pour que cette « curiosité médicale » soit nommée en son honneur.

Lorsque, plus d’un siècle plus tard, Alice rencontre les neurologues spécialisés dans sa maladie, la vision médicale reste inchangée : ni la perte de capacité cognitive, ni les tremblements, ni l’état d'anosognosie (être sans conscience de sa condition) ne peuvent être traité. Huntington réserve un avenir fatal, un devenir dégénérescent.


Face à ce diagnostic « objectif » de la médecine, face à sa propre subjectivité où elle devient proie de ses peurs, Alice fait appel à la « nousjectivité » des personnes touchées de prêt ou de loin par Huntington. Elle décide alors d’échapper au questionnement infertile du « être ou ne pas être » pour faire un pari : la maladie de Huntington fait pousser de la pensée. Le pari de rompre le silence dans lequel sa mère, comme tant d’autres personnes éteintes de Huntington, choisissent de vivre. Alice mise et lève la voix. Elle transforme Huntington en Dingdingdong pour se l’approprier. Ce pari brise la peur.


Dingdingdong. Ce nom est un appel. Un appel pour ne plus se focaliser sur l’avenir néfaste que la médecine et la psychologie annoncent. Dingdingdon est un appel pour, au contraire, inventer des nouvelles manières de se dire. Une invitation à redéfinir les sens donnés à des termes comme « neuro-dégénératif ». Une invitation pour rencontre la singularité de chaque être qu’on cache et qu’in réduit sous le terme de « patient » Dingdingdong transforme la paralysie induite par l’annonce de la maladie en matière dansante. Une danse rythmée par des formulation telles que « je deviens libellule » ou « moi, ma maladie, elle ne me fait pas perdre la tête, mais elle me fait danser, et j’en suis fier ». La maladie peut donc être appréhendée comme une métamorphose. Et la vitalité comme la capacité de redonner du sens à ce qui n’en a pas.



Des échos venant de loin


En apprenant son état génétique, Alice entre dans une profonde dépression. Ce qui lui avait servi de Nord soudainement s’efface. Pourquoi ? Parce que lorsqu’on s’écarte de ce qui est (pré-)défini comme la « normale », on n’est pas facilement représenté. On ne fait plus partie de la majorité. On devient « mineur ». Sans représentation, on ne se reconnait plus comme faisant partie du groupe. On plonge alors dans une écrasante solitude.


La démarche adoptée par Alice et par le collectif Dingdingdong est fortement inspirée de celles d’autres collectifs de personnes qui, comme elle, sortent de ce qui es « normal ». Elle cite notamment le Réseau des Entendeurs des Voix et l’Institut d’Etudes des personnes neurologiquement normales. Ces collectifs sont des espaces de rassemblement pour des personnes schizophrènes ou autistes. Ils se rassemblent et luttent pour la reconnaissance de de leurs réalités qui sont tout à fait légitimes et valables. Ces collectifs créent un espace-temps pour se re-penser et pour se re-dire. Ils permettent une forme directe de représentation car illes se reconnaître plus dans les récits des autres membres du collectif que dans la description clinique des médecins. Ces personnes refusent les mots de «malades », de « victimes », de « handicapés » employés pour les nommer et pour les définir.


Cet ainsi, en transformant Huntington en Dingdingdong qu’Alice trouve l’antidote à la maladie de fatalité chronique. Cet antidote est humble : prendre la parole. Humble vient du latin « humus » qui signifie « terre, sol ». Cet antidote peut faire germer des nouvelles graines, des nouveaux arbres, des nouvelles racines auxquels s’attacher.



Dingdingdong et Point de suspensions


Au cours de cette lecture j’ai bien compris pourquoi cette belle personne dont je parlais au début m’avait renvoyé vers le collectif Dingdingdong.


Point de suspensions a été créé pour mettre des mots. Pour créer des nouvelles narratives avec ces mots. Pour créer des possibles qui déconstruisent la représentation du mot « handicap » (personnes à qui il manque quelque chose) et pour montrer la transparence que ces corps particuliers abritent. Nous voulons créer ces possibles pour valoriser la manière de percevoir le monde et notre rapport au monde.


Les deux collectifs ont dans démarche semblable : se dire et se montrer autrement; inviter à porter un nouveau regard.


Avec cette lecture, nous complémentons la longue liste de personnes qui, en se montrant et en prenant la parole, rompent avec le stéréotype dans lequel toute personne sortant de la normale est cloisonnée. Nommons Blaise Pascal, Louis Braille, Frida Kalho... et plus dans notre temps Jacques Lusseyran, Kiara Bersani, No anger, Câlin, et j’en passe. Les personnes avec un handicap ne sont pas dans le manquent. Voilà pourquoi la compagnie Point de suspensions se présente comme un rassemblement d’artistes -et des personnes- avec un handicap et des artistes -et des personnes- sans handicap : nous choisissons cette formulation -plutôt que celle de « personnes valides »- pour faire entendre que le manque n’est pas là où on le croit. C’est notre manière à nous de reformuler le pari en faveur de la vitalité et contre ce qui est paralysé.


Même s’il y a de plus en plus d’artistes avec un handicap, illes ne sont pas encore assez visibles. Illes sont comme des îles; illes ne non pas encore un continent où on pourrait retracer des routes entre un point et un autre. Il faut souvent nager entre une île et une autre mais, à la fin on arrive à des terres riches d’humilité où poussent des nouvelles pensées, où se forment des paysages aux couleurs innommables.



Tout est une question de représentation.


La terre bouge.



En décembre 2019, le film documentaire "Absolute Beginners", premier film sur la métamorphose Huntington est sorti!

Vous pouvez le voir, pour un usage privé, en allant sur le site

Profitez pour découvrir ces beaux témoignages, ces beaux vécus!



[1] Choreo-atetosique:

- Chorée : maladie nerveuse se traduisant par des contractions musculaires, parfois lentes, parfois brusques, entraînant des mouvements désordonnés du corps ( mouvements choréiques).

- Athétose : mouvements incoordonnés, lents, touchant principalement les extrémités des membres et le visage.



 

Pour aller plus loin :

--> Institut for the story of the neurologically typical

Définition de "neurologically typical": “Neurotypical syndrome is a neurobiological disorder characterized by preoccupation with social concerns, delusions of superiority, and obsession with conformity. Tragically, as many as 9,625 out of every 10,000 individuals may be neurotypical. There is no known cure for Neurotypical syndrome. However, many NTs have learned to compensate for their disabilities and interact normally with autistic persons.”

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