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Arroser le public


Tout commence par le refus d’ occuper un espace fermé pour faire du théâtre. Le résultat est une série de spectacles joués dans des espaces hybrides, entre l’abandon et le réinvestissement. Ce sont des scènes itinérantes qui demandent au spectateur de se déplacer, comme si ces pas là étaient une invitation à se mettre en mouvement. L’ objectif de ces présentations est d’interroger l’obéissance à la norme et, en absence de réponse, imaginer des nouvelles formes de penser et d’ agir. Les créations présentées offrent plusieurs couches et non pas une manière frontale et unique de les lire. L’article qui suit est une résonance particulière des spectacles joués au Landy Sauvage par le collectif éphémère des clowns après une semaine de résidence à la Ferme universitaire de Villetaneuse. Arroser le public, interroger la notion de beauté et occuper les espaces vides sont les trois points qui ont le plus résonné chez le public.


Nous nous déplaçons dans un espace dépourvu de toit. Les murs ne le renferment plus. Trois nez rouges actionnent des machines et un bruit métallique est lancé. Il résonne. Et soudain une interrogation surgit:

« Pourquoi ? »

Des voix portant des pancartes traversent la zone des travailleurs. Ils les éveillent. Les travailleurs sortent de leur position de victimes, ils agissent. Ils transforment l’usine en un jardin qu’ils arrosent. Pendant qu’une clown-ouvrière danse avec une plante vivace et que la ligne ascendante tracée par le chef de l’usine s’écroule, on comprend comment la semaine de résidence à la Ferme Universitaire a résonné chez les participants : car à la Ferme, tout comme dans le Landy Sauvage, la nature reprend ses droits sur le béton destructeur. Cet espace contient des personnes en dehors du système capitaliste et productiviste. L’herbe pousse verticalement le long des murs à moitié détruits dans un rectangle sans toit. Des tags et des graffiti colorent ce paysage de destruction fertile. La scène prend fin lorsque de l’eau est versé sur le public. Ce geste s’infiltre à l’intérieur de celui qui regarde. Peut-être deviendra-t-il quelque chose d’autre? Ces clowns cherchent à provoquer un rire capable d’arroser le public. De l'arroser au delà de l’eau.





L’ adaptation du conte de «Peau d’âne» de Charles Perrault commence dans une salle de théâtre habituelle pour ensuite se déplacer vers divers espaces du Landy sauvage. Peau d’âne est incarnée par une clown qui entre sur scène. Si « belle » correspond à ressembler aux corps des images publicitaires, alors elle ne l’est point: plusieurs de ses dents sont noirs, sa coiffure est défaite, ses vêtements clownesques sont très éloignés de la robe rose traditionnellement attribuée aux princesses. Et pourtant, ce clown incarne bien la belle Peau d’âne : c’est elle que le prince désire épouser. La clown sélectionne parmi les spectateurs un homme « de son tranche d’âge » pour incarnera son prince. Et ainsi la beauté n’est plus reliée à la jeunesse. La forme clownesque permet d’incarner une princesse qui sort des champs conventionnels. La beauté devient ainsi un état de ce qui vit et de ce qui est en mouvement. Une beauté hors du champ esthétique, loin des clichés normés. Cette nouvelle forme de beauté, -plus jeune, donc- pousse dans l’instant même où nous regardons ces spectacles, dans l’usine désaffectée.


La beauté est présente dans la salle rouge vif où commence l’itinérance.

La beauté est présente chez une reine qui est jetée à la poubelle du recyclage.

La beauté est Peau d’âne portant un gilet jaune.

La beauté est d’entendre la bienveillance de la fée au cheveux bleus qui danse suspendue à un tissu rouge.

La beauté est d’inviter le public à s’infiltrer à travers les murs en ruine pendant qu’une joyeuse musique invite à poursuivre l’itinérance.


Autre forme de beauté surgit pendant la traversée de cette friche. La beauté de retourner à la simplicité, de reprendre des espaces abandonnés et de les animer momentanément.

Et nous, public, nous ramenons aussi notre graine pour faire émerger cette beauté naïve, cette beauté simple. A la fin du spectacle, la peau d’âne gît au sol. Les enfants du public s’approprient ce fabuleux décor abandonné. Ils se cachent à l’intérieur et, l’un derrière l’autre, ils marchent, ils dansent. Un geste simple et concret qui ne se saurait pas aussi facilement produit dans un autre espace de représentation.





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